Rahim, slameur optimiste: « Le Sénégal est un centre de repères pour moi »

Quelque part de l’interaction mystérieuse entre la musique et le slam, la poésie et le slam, la culture et les structures, les forces ascendantes et les forces descendantes, la vie et la mort émergent à la fois le sens du sacré, le don de soi, le bonheur de vivre sa propre réalité fugitive. Toutes les sociétés ont en effet experimenté l’événement musical. La musique constitue l’une des vieilles traditions pratiques de l’homme. C’est à travers cette musique, la poésie et le slam que des esprits se sont illustrés pour donner sens à leur vie, à leur trajectoire personnelle mais aussi à l’existence humaine tout court. La musique a longtemps été utlisée de toutes sorte de manières, pour célébrer, se lamenter, unir une communauté, insuffler le courage, exciter ou apaiser, danser, commémorer.

Cependant, la musique ne fait pas que sonner: elle jette un sort et évoque des mondes différents. Rares sont ceux qui sont allés plus loin pour cartographier ce territoire en Afrique que le slameur et poète comorien Rahim, connu également sous le nom de parolier du Karthala.

A la Vingtaine, Rahim reste parmi les esprits les plus brillants, les plus influents et les plus pénétrants dans le domaine de l’art. Sa musique slam transcende les frontières de son pays natal, les îles Comores, pour atterir jusqu’à des horizons insoupçonnés d’alliage massif de cultures différentes et riches. Le Sénégal, pays de la Teranga, est son point d’ancrage artistique et professionnel. Sans oublier les autres pays( la Côte d’ivoire, le Mali) qui font partie intégrante de son expérience d’artiste, plus particulièrement en Afrique. Il comprend l’art à sa manière et décline une vision artistique simple, propice au ressourcement quantitatif sur le plan artistique, avec une forte croyance en l’efficacité du travail collectif en poésie, en une création dynamique intgérant tous les aspects structurants de la tradition et de la modernité. C’est à quoi il s’est attelé par ailleurs durant tout son parcours au pays de la Teranga. Son passage dans les grands cénacles littéraires et culturels en témoigne largement.

Dés son arrivée au Sénégal, il prend connaissance avec les acteurs culturels évoluant dans ce milieu depuis des années, à l’image du Docteur Massamba Guéye, un homme qui l’a affectivement et professionnellement marqué pour l’avoir soutenu dans tous ses projets. La maison de l’oralité dont le docteur Massamba Gueye est le directeur a beaucoup contribué à sa formation personnelle en tant que professionnel de l’art et de la création musicale – dans un pays qu’il venait de découvrir. C’est avec ce pays, le Sénégal, qu’il se découvre et conçoit son talent de slameur de manière si parfaite – mais dans l’oralité. L’oralité est en effet le ciment de sa conquête des langues et des civilisations perdues, et à jamais conservées par la mémoire. Nous savons qu’une langue est le véhicule le plus noble des valeurs, écrivait le brillant critique littéraire Makhaly Gassama. Il ajoute “ ces valeurs ont commencé à modeler notre âme, à orienter notre sensibilité dés le berceau…] une manière pour l’excellent théoricien de la littérature négre de marquer du doigt le caractère extraordinaire surnaturel des mots et du langage dans la tradition orale. Les mots s’emparent si tôt de nous, ils nous deviennent si familiers, ils prennent une allure si naturelle que nous finissons par croire que nous n’avons jamais appris à les articuler. Tout laisse à croire que le mot inspire le souffle divin; il est l’âme du slameur; c’est à lui qu’on doit l’éternité et le rayonnement de la civilisation de l’oralité. Le slam est plutôt un message qui puisse son âme dans les mots et dans les profondeurs de l’humain au contact de sa langue maternelle et/ ou de la langue étrangère. Et de la sorte, l’oralité est une civilisation dont les possibilités artistiques sont immenses, et sont peut-être l’avenir de la création en Afrique et ailleurs.

Le Sénégal était pour lui une vraie opportunité pour développer son talent d’orateur dans la culture urbaine. La chance lui a également souri très tôt car son insertion dans le milieu artistique est vite facilitée par d’autres groupes de slameurs présents au Sénégal, notamment le vendredi Slam et la ligue sénégalaise de Slam. Ayant quitté son pays pour poursuivre ses études dans le Bâtiment commme architecte, Rahim n’aurait pu attendre quelque chose de plus magnifique et génial que de se frotter à un contexte culturel plutôt favorable à ses besoins et ambitions. Celui qu’il considère en réalité comme son “ père spirituel “ le docteur Massamba Gueye, de surcroît passionné d’art oratoire, a façonné son esprit dans ce sens. Un diplôme professionnel dans le domaine artistique, il en a reçu de la maison de l’oralité, signe de son intégration dans le circuit de l’art professionnel, mais également symbole de son ancrage dans l’oralité. Rahim, parolier du Karthala, a eu donc le mérite d’avoir su concrétiser son rêve en se situant très tôt dans l’atmosphère du pays – par des rencontres et échanges fructueux comme bilan professionnel. A son actif, il a organisé pas mal de spectacles au niveau national, que ça soit à Blaise Senghor où Il a produit son premier spectacle avant de toucher le reste du Sénégal, chantant l’union des cœurs et le brassage culturel entre les deux pays que sont le Sénégal et les Iles comores. De même, il a participé à un nombre importants de festivals. Son ambition suprême consiste bien évidemment à créer un pont culturel entre son pays d’origine et le Sénégal, et à travers tout le continent africain. S’y ajoutent déjà les nombreux projets qu’il a pu mettre en place durant les quatre ans passés au Sénégal : le Kam’Art, le Bangwe Slam, et Arc en ciel, dont il est l’un des cofondateurs. Sa musique nous emeut car elle nous libère de la vulgarité, de la rigidité intellectuelle et de la tyrannie des opinions; elle se fait à travers un ordre de tons et de rythme propre à sa propre habileté à faire joindre les extrêmes et les sonates. Les Bambaras n’ont-ils pas raison d’attribuer au verbe une origine divine?

Par déla les évocations historques et culturelles dont il fait montre à travers le slam, Rahim influence positivement ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir en tant que sujet moral – en tous les cas nous qui sommes son public chouchouté en Afrique. Ainsi, le slam a le don de former l’être humain à la lumière de toutes formes de musique dans le sens où “ le rythme et les concordes s’enfoncent directement dans la partie la plus intime de l’être…”; le slam fait des artistes des individus compétents et des esprits esthétiquement raffinés. Cette logique nous suggère que les artistes slameurs ont un rôle décisif à jouer dans lacontemplation de l’absolu et dans la recherche de paix des âmes dégradées et abondonnées sous le coup de la tragédie associée à notre condition. Une manière de dire avec Peter Kalkavage que “ la musique et le poème ne deviennent ce qu’ils sont qu’à travers l’acte de sonner.” De la musique de tradition classique ( des œuvres de Bach, de Beenthoven, de Mozart) à la musique moderne, l’infinité de l’âme est la chose la plus recherchée, dans une démonstration fluide associant mathématique( depuis Pythagore) et poésie des mots, ou encore un art du langage richement connoté. Cet effet produit combine symboliquement un thème récurent, un rythme et un moment partagé. Obejt d’émerveillement soutenu, le slam est à l’image de la musique l’union du rationnel et de l’irratonnel, de l’ordre et du sentiment. Le slam adopte tous les usages moraux et appropriés de la musique en se faisant un lieu de connexion des ames humaines ou de fabrication du mystère de la vie tout en la rendant meilleure.

El Hadji Thiam est chroniqueur d’opinion. Il s’interesse à l’art, à la littérature, à la psychologie et à l’histoire des sciences.